Point de vue : L’Économie Sociale et Solidaire, l’Économie de demain ? par Geofrey Debailleux

Par Geofrey Debailleux, Secrétaire de la Section PCF Cambrésis.

Produire tout en donnant une utilité sociale à la production, avec une gestion démocratique et sans profit individuel, est-ce seulement possible dans une économie capitaliste et néo-libérale ? C’est en tout cas ce que les actrices et acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) tentent de mettre en place. Mais alors, qu’est-ce que cette économie alternative qui représente plus de 2 300 000 d’emplois ? Comment fonctionnent ces structures et en quoi sont-elles utiles à la collectivité ? C’est autant d’éclairages que nous chercherons à réaliser dans cet article.

Les quatre grands principes de l’ESS

L’Économie Sociale et Solidaire repose sur quatre grands piliers qu’il s’agit de présenter afin de saisir toute l’originalité de ce mode de production. Ces grands piliers sont au fondement de la loi du 31 juillet 2014, un texte qui permet une meilleure visibilité et une plus grande sécurité juridique aux structures qui s’inscrivent dans l’ESS, mais aussi aux salariés de ces structures.

1. Le premier pilier est ainsi la poursuite d’une utilité sociale. En effet, les entreprises de l’ESS visent en priorité à répondre à un besoin social. Ainsi, au chiffre d’affaires recherché par les entreprises classiques on oppose l’impact social généré par les entreprises de l’ESS : c’est à cela qu’on mesure l’efficacité d’une entreprise sociale, et non au profit ou aux dividendes versées. Cet impact social peut être divers, celui-ci allant du soutien aux personnes en situation de fragilité à la participation au développement durable en passant par la lutte contre les exclusions et les inégalités.

2. Le deuxième pilier de l’ESS est la viabilité de son modèle économique. Bien qu’elles ne cherchent pas le profit, les structures sociales doivent mettre en place des modèles économiques pour assurer leur pérennité et atteindre leurs objectifs d’utilité sociale. Face à la baisse de plus en plus importante des financements publics pour ces structures, il s’agit pour elles de se renouveler pour continuer à vivre : elles peuvent ainsi trouver leurs ressources dans la vente de prestations et services.

3. Le troisième véritable pilier essentiel qui régit cette économie est le mode de gouvernance démocratique des structures. Par gouvernance, il faut comprendre les modes de réflexions et de prises de décisions de la structure. Si ce piller est appliqué de façon très différente selon le type d’entreprise dans lequel s’inscrit la structure (voir la partie suivante), il n’en reste pas moins central dans l’ESS. Ainsi, si dans les coopératives, une personne est égale à une voix, peu importe sa place dans l’organigramme de l’entreprise, il peut exister des associations dans lesquelles le pouvoir de décision est très centralisé et dans les mains quelques membres. Sur ce troisième pilier, il faut comprendre que la loi du 31 juillet 2014 impose une gouvernance démocratique, mais pas forcément une gouvernance partagée : c’est le type de structure qui déterminera cela.

4. Enfin, le quatrième et dernier pilier de l’ESS est la lucrativité limitée ou la rentabilité mise au service de la finalité sociale. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les entreprises de l’ESS qui dégagent des bénéfices vont utiliser ces derniers non pas dans un but d’enrichissement personnel mais bien pour assurer la viabilité de son modèle économique et ainsi pouvoir mettre en place son projet social, cela passant par la rémunération des salariés mais aussi par les investissements potentiels de l’entreprise.

Les structures très hétérogènes de l’ESS

Aujourd’hui, sont plus de 200 000 structures qui s’inscrivent dans le cadre de l’Économie Sociale et Solidaire, selon les chiffres du Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, et qui appliquent les quatre grands principes présentés précédemment. Ainsi, ce
nombre conséquent de structures se découpe de cinq types d’organisation qui cohabitent dans le grand ensemble économique qu’est l’ESS :
– Les associations de loi 1901,
– Les fondations de personnes ou d’entreprises,
– Les mutuelles à but non lucratif,
– Les coopératives,
– Les entreprises commerciales d’utilité sociales.

Focus sur les coopératives

Il s’agit ici de présenter ce que sont les coopératives, puisque bien des lecteurs sauront se représenter les associations, mutuelles et entreprises, alors que les coopératives sont des structures bien plus insolites et moins connues du grand public. Celles-ci, plus de 23 000 en France pour un million de salariés, fonctionnent selon les termes « une personne = une voix » tout comme les mutuelles.

En effet, entrepreneurs, habitants, salariés consommateurs ou citoyens, appelés sociétaires, se regroupent au sein des coopératives à égalité autour d’un projet commun, décidé en assemblée générale, tout comme les grandes orientations de l’entreprise. Ainsi, ses membres sont tout autant associés que
bénéficiaires. Débarrassés des actionnaires, elles partagent équitablement leurs bénéfices entre leurs sociétaires et les investissements afin d’assurer la viabilité de la coopérative. Ainsi, aujourd’hui en France, 1 Français sur 3 est sociétaire d’une coopérative

Un véritable poids dans le dépassement du capitalisme

Représentant plus de 10% du PIB national, l’ESS a un véritable poids dans l’économie française. Avec 200 000 structures et plus de 2 300 000 salariés, soit environ 13% des emplois privés en métropole et en outre-mer, les acteurs de l’ESS font la démonstration au quotidien que nous pouvons sortir d’une production capitaliste aliénante pour se tourner vers une production cohérente et humaine.

Redonnant un sens politique fort à la production de richesses, par une interrogation constante sur l’utilité de la production comme sur ses modes, l’ESS fait entrer la démocratie directe des travailleurs dans l’entreprise et participe de ce fait à leur émancipation en opposition à l’aliénation que subissent les producteurs sous le capitalisme. Mettant leurs compétences, leurs savoirs et leurs réseaux en commun, les travailleurs de l’ESS expérimentent une nouvelle forme de gouvernance de l’entreprise dont découle sur un espace nouveau de production sociale, cohérente avec son territoire et son environnement. Travaillant à la coopération entre les différentes entreprises de l’ESS, les acteurs sociaux font fi de la concurrence et bâtissent ensemble une cohérence globale inspirante dans le cadre de l’imagination d’un projet communiste national renouvelé.

L’ESS dépasse ainsi véritablement le capitalisme sur de nombreux points. Sur la question de la propriété d’abord : à un modèle capitaliste qui encourage les actionnaires, les coopératives opposent les sociétaires, à un modèle qui gouverne en petit groupe fermé, l’ESS défend une gestion démocratique entre les mains d’un collectif large. Sur la répartition des richesses ensuite : il ne s’agit plus d’une course au profit pour engraisser les actionnaires mais bien d’une recherche du bien commun et du bonheur des travailleurs. Et sur l’autonomie des travailleurs sur leurs décisions d’organisation enfin, qui permet à toutes et tous de trouver sa place dans le système de production, le tout à la recherche d’une condition de travail heureuses. L’Économie Sociale et Solidaire fait en ce sens la démonstration, à l’échelle, qu’un dépassement du capitalisme est certes possible, mais aussi qu’il est parfaitement souhaitable et vertueux. C’est sur ce constat qu’il faut inviter tout communiste à se s’emparer de ces questions.

Quelques critiques pour aller plus loin

Il s’agit, pour être totalement complets sur la question de l’ESS d’émettre quelques interrogations et critiques à son sujet, puisque bien que nous ayons vu que cette économie alternative constitue une évolution forte des modes de production, il ne faut pas oublier qu’elle agit au sein d’une économie capitaliste et est dans ce cadre exposée aux pressions du pouvoir et de la finance, ainsi qu’aux attaques constantes des géants libéraux cherchant à dégager toujours plus de profits dans leurs domaines d’activité.

On peut également noter des défaillances sur certains points : que ce soit les salariés des banques et des mutuelles sociales qui ne sont pas sociétaires des coopératives dans lesquelles ils sont employés, comme les associations à tailles démesurées dont les dirigeants agissent contre l’intérêt de leurs employés, mais aussi certaines coopératives, notamment agricoles, qui se lancent dans des marchés mondiaux en oubliant leur action locale et territoriale, il est évident que la marche est encore longue pour parvenir à un système parfait.

Cependant, il faut garder à l’esprit que l’Économie Sociale et Solidaire reste un outil de transformation de la société dans une volonté de bonheur collectif et participe véritablement activement à favoriser les prises de conscience quant à une nécessité de socialiser les moyens de production à grande échelle. L’Économie Sociale et Solidaire, c’est finalement déjà du communisme.

 

Geofrey Debailleux 
Secrétaire de la section PCF du Cambrésis

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