Le 20 septembre 2022, Mahsa Amini a succombé à ses blessures à l’hôpital de Téhéran. Arrêtée pour « tenue indécente » par la police des mœurs, elle a été battue, provoquant une fracture du crâne fatale. Mahsa Amini était une jeune femme kurde et cela explique aussi la violence dont elle a fait l’objet tant la situation de ce peuple est faite de discrimination et de subordination. Sa mort a suscité une indignation générale à l’origine de manifestations d’ampleur dans tout le pays.

Depuis l’instauration du régime islamique, les femmes font l’objet d’une violence systémique et patriarcale qui prend d’innombrables formes. Le port du voile concerne l’essentiel des interventions de la police des mœurs qui patrouille dans l’espace public à la recherche de femmes qui contreviennent à la morale islamique. Ces derniers mois, la violence et la répression quotidienne se sont brutalement aggravées.

Plusieurs facteurs expliquent ces évolutions. Dans un contexte international tendu, l’espace public fait l’objet d’une surveillance plus étroite. De plus, avec l’élection à la présidence de la République d’Ebrahim Raïssi, les ultra-conservateurs détiennent tous les leviers du pouvoir.

Les difficultés économiques du pays qui résultent de l’incurie, de la corruption des mollahs et de l’oligarchie en place mais aussi des sanctions américaines ont plongé la moitié de la population dans la pauvreté, tandis que les couches moyennes sont laminées. Dans ce contexte social explosif, les éléments les plus réactionnaires du régime ont décidé d’un retour par la force à l’ordre moral islamique. On assiste non seulement à un renforcement des contrôles à l’égard des femmes, mais aussi à une multiplication des mesures vexatoires. En juillet, les autorités ont dévoilé un plan en faveur de la chasteté, et en septembre, elles ont révélé leur intention d’utiliser l’intelligence artificielle pour identifier les femmes qui porteraient mal leur voile.

Depuis plusieurs décennies, la société iranienne, comme l’ensemble des sociétés du Moyen-Orient, sont en pleine mutation. La condition féminine s’éloigne des clichés encore vivaces en Europe qui assignent à la femme iranienne ou arabe un statut de victime de l’autorité patriarcale écrasée par le poids des traditions et de la religion. Les luttes des femmes actuelles s’inscrivent dans l’histoire, car un féminisme a émergé depuis la fin du XIXe siècle et dans la naissance des États postcoloniaux, accompagnant un mouvement d’émancipation, relatif mais réel, avec l’objectif de faire prévaloir leurs droits. Ces mouvements ne viennent donc pas de rien. Ces dernières années, la société iranienne s’est modernisée, urbanisée, sécularisée, tandis que le niveau d’éducation n’a pas cessé de croître. L’université s’est elle aussi féminisée. Ces changements contrastent avec des structures politiques qui n’ont pas changé, voire qui se sont fossilisées, limitant toujours plus les libertés, accentuant la violence politique en ciblant les femmes, les jeunes et les démocrates.

Ce mouvement s’inscrit dans un ensemble plus large de mobilisations ayant affecté l’Iran dans un passé récent. En 2009, 2017, 2018 et 2019, des manifestions considérables ont contesté le régime dictatorial pour des raisons économiques et sociales. Les Gardiens de la révolution les ont noyées dans le sang.

Le soulèvement actuel se distingue cependant des précédents. Il vient des profondeurs de la société, exprimant une exaspération radicale à l’égard de ce pouvoir théocratique. Les femmes sont aux avant-postes contre un régime autoritaire, rétrograde et répressif. Nombreuses sont celles, dans un courage admirable, qui refusent de porter le voile, se découvrent la tête, jettent leur foulard au feu en rendant public leur acte dans des vidéos virales qui les exposent à un déchaînement de brutalité. Toutes les femmes qui manifestent ne sont pas contre le voile, mais toutes refusent les impératifs religieux de la séparation des sexes et leur soumission au fondement de la République islamique.

Ne nous y trompons pas, derrière ces actes de défiance, il y a une remise en cause frontale du système, comme en témoignent les slogans des manifestations qui dénoncent la « dictature », qui incendient les commissariats et s’en prennent aux forces de l’ordre.

La révolte gagne aussi toute la jeunesse, notamment masculine. Comme par le passé, les universités sont en ébullition. La colère est à son comble et l’aspiration à un changement radical est massive.

Un doute a saisi les autorités, et le pouvoir se sent fragilisé car ce mouvement touche au noyau dur du système. Pour y faire face et rassurer sa base sociale, il a choisi de durcir le ton. On dénombre plus d’une cinquantaine de morts, des centaines d’arrestations, tandis que les réseaux sociaux ont été coupés.

Rien n’y fait, car Mahsa Amini est devenue un symbole de lutte, de libération et de justice pour les femmes et toute la société.

Cette explosion de colère, non coordonnée, non structurée autour d’une organisation ou d’une idéologie, rejetant le système et refusant le compromis, présente des analogies avec tous les mouvements sociaux qui parcourent le monde et dans lesquels les formations politiques sont en retrait, notamment, mais pas seulement, en raison de la répression dont elles font l’objet. Cela devrait constituer un motif de réflexion sur ce décalage aux lourdes conséquences.

Les coups de boutoir se multiplient contre le régime iranien qui conserve une assise sociale qui tend cependant à s’éroder. Il faut donc rester prudent sur les conséquences, même s’il ne faut rien exclure. Plus que jamais, la solidarité internationaliste doit s’exprimer avec force.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient